Le directeur du service d’Etat pour les situations d’urgence ukrainien, Sergui Botchkovski, et son adjoint Vassyl Stoïetski, soupçonnés de corruption, ont été arrêtés, mercredi 25 mars, au cours d’une réunion gouvernementale retransmise à la télévision – fait inédit en Ukraine. Les deux hommes sont accusés d’avoir effectué des achats publics « à des prix beaucoup plus élevés » que le prix du marché, notamment auprès du géant pétrolier russe Loukoïl, selon la police, qui a dénoncé « un schéma criminel ».
Le gouvernement pro-occidental arrivé au pouvoir après la chute du président Viktor Ianoukovitch a annoncé vouloir faire de la lutte contre la corruption, qui gangrène l’Ukraine depuis des années, l’une de ses priorités.
« Tous les kopecks comptent »
Présent à cette réunion, le ministre de l’intérieur, Arsen Avakov, a justifié ces arrestations publiques. « Je n’enfreins pas le secret de l’enquête, mais je mène une enquête publique. Ce n’est pas un spectacle (…). Je pense que c’est un vaccin et il faut que cela soit public », a-t-il déclaré. Le premier ministre, Arseni Iatseniouk, a lui aussi motivé cette démonstration de force :
« Lorsque le pays est en guerre, tous les kopecks comptent. Or, ils volent les gens et le pays. Cela arrivera à tous ceux qui enfreignent la loi et se moquent de l’Etat ukrainien. »
Ces arrestations publiques ont immédiatement provoqué de nombreuses réactions y compris en Russie. « A Kiev, on arrête pour corruption dans les achats publics en pleine réunion du gouvernement. Le Fonds de lutte contre la corruption est prêt à remettre tous les documents pour l’arrestation de 90 % des ministres russes », a ainsi écrit sur son comte Twitter l’opposant russe Alexeï Navalny, faisant référence à son organisation de lutte contre la corruption en Russie.
Limogeage d’un gouverneur
Par ailleurs, le président ukrainien, Petro Porochenko, a limogé mercredi Igor Kolomoïski, gouverneur de la région de Dnipropetrovsk, frontalière de l’Est séparatiste prorusse. L’homme d’affaires, dont la fortune est estimée à 1,8 milliard de dollars par Forbes pour des activités dans la banque, le secteur énergétique et les médias, était un allié précieux du gouvernement du Kiev.
Nommé gouverneur en mars 2014 pour mettre fin aux pulsions séparatistes dans cette région industrielle clé, Igor Kolomoïski s’est illustré par la création et le financement de puissants bataillons de volontaires qui combattent aux côtés des troupes ukrainiennes contre les insurgés prorusses. Dans un communiqué publié sur le site de la présidence, Petro Porochenko explique que l’oligarque a lui-même offert de quitter ses fonctions de gouverneur lors d’une réunion mardi soir, au terme de plusieurs jours de bras de fer.
Igor Kolomoïski, 52 ans, fait partie de ces hommes d’affaires qui ont fait fortune après l’indépendance de l’Ukraine, en 1991, et qui ont pris le contrôle de pans entiers de l’économie locale, y compris dans des secteurs stratégiques comme l’énergie, et sont devenus des acteurs politiques influents en coulisse. Mais ses intérêts sont entrés en collision la semaine dernière avec ceux du président ukrainien, quand les députés ont adopté une loi destinée à modifier l’organisation des conseils d’administration des entreprises publiques afin de réduire le contrôle exercé par les actionnaires minoritaires.
« Le président Porochenko a fait preuve de volonté dans la lutte contre l’anarchie des oligarques », a de son côté commenté Volodymyr Fessenko, analyste politique indépendant, tout en disant espérer qu’il n’y aurait « pas de fronde » après le limogeage du gouverneur de Dnipropetrovsk. Certains craignent en effet qu’Igor Kolomoïski puisse avoir recours à ses bataillons de volontaires pour prendre sa revanche.